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30 mars 2014 7 30 /03 /mars /2014 17:28

Empowerment est un mot à la mode. Il sous entend implication et responsabilité des individus. Une pratique « émancipatrice » redonnant de l’initiative et du pouvoir aux sans voix.  Le « patient Empowerment » ou « autonomisation du patient fait l’objet de nombreuses discussions et réunions.

On parle d’implication du patient, de remodélisation de la relation. Tout cela impacte les changements en santé, et implique une conduite de changement tenant aussi compte du paramètre médecins. D’où la nécessaire démarche qui complétera l’empowerment patient, celle de «  l’empowerment des médecins ». empowerment-copyright-free-image.jpeg

Les médecins, le savoir médical et relationnel.

Le médecin est celui qui détient le savoir. Nous vivons dans un pays ou les compétences décisionnelles des médecins en matière de santé sont admises. En France un médecin est peu attaqué pour ses décisions. Il l’est plus un défaut de compétence            relationnelle, des dys-comportements ou des défauts de communication motivent souvent les actions en justice des patients.

A priori la relation médecins/patients ne peut être qu’asymétrique. Le médecin agit pour le patient par devoir et pas par choix. Le patient joue sa vie pendant que le médecin gagne la sienne.


Les patients attendent de leurs médecins : beaucoup, beaucoup plus qu’autrefois.

Ils attendent tout d’abord un savoir. C’est de tout temps le fondement de la relation patient/médecin, le soin, la guérison. La relation était unilatérale. Le médecin décidait, le patient acceptait avec résignation. L’évolution de la société du 20ème siècle est une révolution de la demande des patients. Non seulement le médecin doit apporter sa connaissance, la mettre au service des malades, mais encore doit il faire preuve de ses compétences relationnelles.


Le médecin se trouve désormais face à un malade proactif, s’interrogeant  sur sa condition de malade, sa maladie, les prescriptions médicales, leur légitimité

 

Tous les patients, quelle que soit leur demande, la gravité de leur état, attendent qu’on les prenne au sérieux, qu’on leur consacre du temps. Et si le médecin adapte ou tente d’adapter le temps à la gravité médicale qu’il estime, l’insatisfaction, voire l’exigence, s’immisce dans la relation. Pareil pour le respect. Evidemment, tous les patients sont en droit d’obtenir le respect. Mais tout le monde n’a pas la même définition du respect..


Au cas ou le médecin et le patient ne sont pas d’accord sur la gravité d’un état, le patient estime qu’il est en droit d’exiger que l’on prenne en compte sa propre définition de son problème. La co-construction qui était de l’initiative du médecin a changé de camp et est passée dans l’escarcelle des patients. Le  malade peut dire non, pas le médecin. Par conséquent, le corps médical semble avoir perdu dans une large mesure le droit de contredire les patients, tandis que les patients, au nom d’une démarche de co-construction, sont eux, en droit de se plaindre de leurs médecins.


La décision partagée conduit le patient à vouloir des réponses circonstanciées à toutes les questions qu’ils est en droit de poser de par la loi. Les données médicales bien évidemment : Le diagnostic, l’évolution prévisible,  des explications sur la maladie ou l’état pathologique, et son évolution habituelle avec et sans traitement. Plus avant, les patients doivent être informés sur la description et le déroulement des examens, des investigations, des soins, des thérapeutiques, des interventions envisagées et de leurs alternatives, ainsi que leurs objectifs, leur utilité et les bénéfices escomptés, leurs conséquences et leurs inconvénients, et enfin sur leurs complications et leurs risques éventuels y compris exceptionnels. La consultation préconise également des précautions générales et particulières.  En outre, le médecin est aussi en charge du parcours de santé de son patient. Puis, l’information porte également sur les frais auxquels le patient est exposé avant l’exécution de l’acte, de son coût et des conditions de remboursement dont il bénéficierait par les organismes d’assurance maladie.


Et comme la charge de la preuve s’est inversée, il appartient au professionnel d’apporter par tout moyen la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé. Ce qui signifie que non seulement le médecin doit informer, mais aussi tracer toute l’information qu’il donne.


Et cela au cours d’une consultation, dont la durée moyenne en France est de 16  minutes…. .

L’obligation de moyens est contractuelle en matière médicale. Seulement, le champ du moyen est vaste et s’élargit.


En parallèle à ces obligations d’explication et de moyens, la relation est aussi ce qui tient le plus de place dans une consultation. Le médecin doit être techniquement bon, mais aussi ne faire aucun faux pas de parole, de comportement, d’intérêt, d’attention, d’énergie, savoir répondre à tout.  Chaque consultation s’apparente à une sorte de petite pièce de théâtre, scrutée par un public attentif et critique depuis le moment de l’entrée en scène jusqu’au serrage de mains final. Positions, émotions, chaleur, contact, paroles,  les comportements et attitudes du médecin sont analysés et peuvent ensuite faire l’objet d’un rapport d’activité plus ou moins impitoyable. L’interprétation se fera selon les valeurs personnelles du patient, et, on le sait, la définition du bien est différente pour chaque individu. Du coup, la bienfaisance peut être interprétée comme du paternalisme, l’autorité comme une confiscation du pouvoir décisionnaire, la rapidité comme une volonté de ne pas écouter son patient.  In fine, Le médecin est souvent jugé plus sur son comportement que sur ses compétences médicales, et souvent très sévèrement.


Ce que ressent le corps médical : des injonctions .

L’autonomie des médecins est bousculée par l’autonomie des patients. Mais ce n’est pas le seul paramètre bousculant les médecins… L’exigence de faire de chaque acte médical une démarche de santé publique est un nouveau paradigme.  Comment intégrer l’acte médical dans une vision de santé publique. Comment intégrer le paiement à l’acte dans une vision de parcours de soin ?


Or, traditionnellement, en France, une des valeurs les plus importantes chez un médecin est son indépendance, qui est un droit et un devoir pour lui : « Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit » (article 5 du Code de déontologie médicale). Les règles d’exercice de la profession en ville n’ont pas changé malgré la socialisation du financement des dépenses de soins.  Ce sont toujours celles de la médecine « libérale » fondées sur le paiement à l’acte, la liberté de prescription, la liberté d’installation et le libre choix du médecin par le malade. Les médecins français ne cessent de crier leur besoin d’indépendance, alors qu’ils sont dans un processus qui fait tout pour les intégrer dans une démarche de santé publique et leur rappeler que le financement de la santé repose sur des fonds publics.  Que la consultation médicale est une prestation de service.


Le médecin est donc sous la pression de multiples injonctions. Les patientes, les tutelles, les financiers.. Ces nouveaux rapports de force s’intriquent avec les pratiques médicales. D’où un malaise professionnel, qui s’exprime, n’est pas vraiment écouté, et qui indiquerait la nécessité de l’empowerment des médecins.


L’empowerment des médecins

En matière d’éducation thérapeutique, le facteur résistance du patient est une dimension primordiale. Pourquoi des médecins seraient plus facilement adaptables au changement que des patients ?  La résistance au changement est humaine et n’épargne pas les médecins.  


Les médecins ont eux aussi, à l’instar de leurs patients, une culture relationnelle personnelle, ils n’entreront pas tous du jour au lendemain dans les modèles comportementaux que l’on attend désormais d’eux. Et, à l’instar de leurs patients, ils ne peuvent pas tous s’adapter seuls aux changements. Le médecin aussi est stressé et ne sait pas  tenir compte à la fois de tous ces messages implicites : soigne moi, écoute moi, comprends moi, réponds à mes attentes, dis moi pourquoi, dis moi comment, dis moi d’où je viens et ou je vais.  Ce n’est pas simple de faire face à de tant d’injonctions.  


Comprenant ce changement obligatoire, sans forcément y adhérer totalement, certains médecins peuvent se sentir pris au piège. Le corps médical découvre alors un sentiment d’insuffisance, de faible estime de soi, de faible image de sa profession, de culpabilité, honte de ce métier, incapacité à faire confiance aux sentiments des autres, peur de la comparaison, peur que l’on découvre ses faiblesses. Le corps médical découvre aussi qu’il aimerait se plaindre sur ses conditions d’exercice et que ses états d’âme n’intéressent personne.


Face à des patients de plus en plus acteurs de leurs maladies, les  médecins se sentent dépossédés de leur autonomie, de leurs sentiments personnels. Le médecin ne peut pas « dire quand il veut ». Comme son travail implique de s’effacer derrière les besoins des autres, il en découle l’idée que ses propres besoins ne sont pas importants,  et par extrapolation que lui, médecin, n’est pas important. Par définition, il est en bonne santé physique, morale et financière, juste parce qu’il est médecin.


Le médecin se sent alors pris au piège, frustré, obligé d’être sans cesse attentif aux autres avec le sentiment que personne ne fait attention à lui. Il n’a aucun droit d’être « moche », il a seulement le devoir d’être constamment irréprochable. Pour améliorer la qualité de vie des autres, il est censé se conformer à l’attitude que l’on attend de lui, enterrer ses sentiments, se consacrer aux patients sans rechigner et sans compter son temps, accepter toutes les demandes.

 

CONCLUSION

Bien que les médecins restent (pour combien de temps ?) les détenteurs de la connaissance médicale, l’échelle de valeur qui était celle du médecin, est devenue celle du patient.  Avant, les médecins étaient les avocats des intérêts des patients, et désormais les patients se sont emparés de leurs droits.


Les changements de paradigme dans les processus relationnels médecins/patients impactent fortement la pratique médicale. Dans le monde du travail, de nombreuses personnes ont  l’opportunité de faire de mauvais choix en matière de communication et de les voir tolérés. Sauf les médecins... Une forte pression s’exerce sur les médecins en matière de communication  


Non, on ne regrette rien et il ne faut pas hâtivement assimiler les médecins à des tenants des vieux ordres établis, des relations de pouvoir, et de tour d’ivoire jargonneuses. En revanche, il faut être réaliste: on ne peut pas demander à toute une profession d’évoluer  d’un seul tenant et de produire en si peu de temps tant de changements. Une profession qui s'interroge parce qu'elle doit être conforme aux attentes de tous, patients, tutelles, et que personne ne veut bien s'émouvoir de ses difficultés d'adaptation à tous ces changements.


L’empowerment du corps médical est une nécessité qui prend sens . Seule une vraie volonté de conduite du changement médical par les médecins eux-mêmes leur permettra de s’adapter  aux évolutions de la société en général et de l’exercice médical en particulier.  

commentaires

M
<br /> Je suis de votre avis sur le point que les patients sont de plus en plus exigeants. J'ai une soeur cancerologue mais je peux vous assurez que du travail elle en a! Essayez de solliciter une<br /> secrétaire médical ne serait-ce que pour la gestion de la relation patient. J'ai remarqué que ça aide beaucoup vu le changement de rythme de ma soeur depuis qu'elle en a engagée. <br />
M
<br /> <br /> Bien sur, j'ai une secrétaire, que dirais-je , plutôt une assistante. Nous sommes 4 associés avec 2 secrétaires plein temps. Elle gèrent 90% des appels des patients, et ce serait impossible de<br /> travailler sans cette aide hyper précieuse. Mais même nos secrétaires sont de plus en plus hallucinées par les demandes et les exigences des patients. Dernière du jour : appel d'un patient, pour<br /> savoir ce que veut dire IPP . Alors qu'il eut suffi de taper sur le net !<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Ah, le non-verbal, il en dit des choses ! <br /> <br /> <br /> Pour ma part, soignante et soignée, je trouve cela plutôt bien que le patient soit devenu acteur de son parcours de soins. Tout reste néanmoins une question de respect et d'écoute réciproque, une<br /> chose devenue parfois bien difficile dans notre société.<br /> <br /> <br /> Merci pour votre article fort intéressant.<br />
M
<br /> <br /> Cathy, en fait, je suis également soignante et (ex)soignée.<br /> <br /> <br /> Tout est difficile dans notre société qui va vite, et ce qui est compliqué pour les soignants c'est que chaque patient vient avec sa propre attente, et qu'elle est parfois (souvent?)<br /> surdimensionnée par rapport aux réelles possibilités qu'on  peut leur offrir<br /> <br /> <br /> <br />

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