Déménagement définitif du blog à l'adresse suivante: www.cris-et-chuchotements-medicaux.net
Si on m’avait dit qu’un jour j’assisterais à une session entière de congrès (un WE, bien entendu) dans laquelle on me parle d’élargir les couloirs, de changer les portes sous peine d’amendes de haut niveau. Un autre intervenant vient nous signifier l’obligation de mutuelle pour nos salariés, et nous interpelle comme si on était à la tête d’une entreprise, en évoquant plusieurs fois « l’ensemble » de nos salariés. Une présentation, ensuite, sur la nécessité de se battre avec les établissements au sein desquels nous exerçons, afin de disposer de tout ce qui est considéré comme nécessaire à des soins de bonne qualité.
Si vous étiez petite souris, je vous conseillerais de vous mettre dans un recoin de couloir d’un congrès médical, et de méditer sur les échanges entre médecins. Des histoires de tiers payant, d’argent, de sécu, de mutuelle, de rendez-vous manqués, de délais importants de rendez-vous, d’impossibilité de trouver un associé, et de se faire remplacer. Des histoires de consultants exigeants, ou insatisfaits du trop peu de temps à eux consacré. Des histoires d’horaires surchargés, d’administration trop prégnante. Et puis la question récurrente de ceux, nombreux, ayant des cheveux blancs : et toi, la retraite, c’est pour quand ? , puis la remarque tout aussi récurrente : les jeunes, on les plaint, avec ce qui les attend…
Des valeurs morales et intellectuelles m’ont fait autrefois choisir le métier de médecin. La majorité des médecins a choisi ce métier pour ces valeurs, qui sont ses valeurs.
Et maintenant, ou se situe l’importance des valeurs morales du docteur ? Tout le monde n’évoque plus que la valeur vénale de mes actes, de mes gestes, de mes consultations, des examens réalisés, des traitements donnés, de mon cabinet devenu une entreprise à elle seule.
Pourtant, elles sont intactes en moi, comme chez nombre de mes amis médecins, ces valeurs morales qui ne semblent plus intéresser grand monde. Ce n’est pas l’argent qui fonde la motivation de l’humain soignant un autre humain. Les valeurs du soignant sont au delà de l’argent. Que l’on cesse de nous penser premièrement intéressés par l’argent. La rencontre avec un humain malade est une rencontre authentique, qui n’a rien à voir avec la valeur vénale associée au travail. Les médecins sont avant tout des porteurs de valeurs d’humanité. Attention, bienveillance, gentillesse, écoute de la détresse et de l’impuissance des humains sont notre quotidien, et ces valeurs entretiennent notre motivation à soigner.
Pourquoi les médecins gagnent t’ils si bien leur vie. Parce qu’ils travaillent plus que la moyenne. Et s’ils travaillent autant, c’est avant tout pour motif d’humanité. Non, ce n’est pas pour le fric que les médecins acceptent de voir énormément de patients, d’assurer de nombreuses heures de travail, de sacrifier des soirées, des nuits et des week-ends pour travailler, sans repos compensateur. L’investissement est temporel, mais aussi physiquement et moralement important. Si le corollaire de travailler et de s'investir beaucoup est logiquement d’avoir un très bon revenu, il nous parait proprement incroyable que l’on nous dénie cela.
Ne sous-estimons pas l’énergie considérable nécessaire à entretenir des échanges humains. Cette partie du métier a conséquemment changé dans les 30 dernières années. L’attente des patients est de plus en plus importante, voire souvent excessive. La tendance à confondre adaptation à son attente et satisfaction est un modèle de raisonnement fort répandu de la part des patients. Certes, la détresse liée à la maladie induit une baisse de tolérance. Mais la sorte d’attentisme rageur, constamment exprimée à l’égard du corps médical pour ses soit-disant insuffisances, incompétences, intérêts financiers, tout ceci témoigne d’un amalgame. Au plan moral, même dévoué à son métier et à la santé de ses patients, le médecin ne peut pas être constamment ce héros parfait, conforme à l’attente et aux exigences de l’ensemble des malades qu’il soigne.
J’ai fait médecine, je suis et resterai médecin uniquement pour des valeurs morales, pas pour des valeurs financières. Je ne comprends pas les raisons qui consistent à compliquer sans cesse la tâche des médecins, en leur additionnant des multiples strates de travail non médical. Le corps médical est violemment bousculé par les jugements, les critiques, les reproches, les inlassables demandes d’une impossible perfection, et miné par l'addition des .
Impuissance, solitude, vulnérabilité, perte de sens, ne sont pas que le lot des patients, mais aussi celui des médecins. Une société qui veut des soignants aptes à écouter la détresse et à y remédier, devrait commencer par se comporter honorablement avec eux, reconnaitre leurs valeurs humaines et morales, et avoir de l’estime pour eux. Ainsi les médecins retrouveraient le chemin de l’estime d’eux-mêmes, la reconnaissance de leurs valeurs morales, et la place qui est la leur, accompagner la naissance, la maladie, la mort et la détresse humaine.