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Les blogs, la presse médicale, concentrent les raisons de stress (ou de burn-out) des médecins sur 2 thématiques, d’une part la pression administrative, d’autre part et surtout, les relations avec les patients.
Déjà, on se demande comment il est possible de croire qu’un même individu puisse s’acquitter convenablement ces 2 compétences si antinomiques : des compétences administratives et des compétences dans la relation d’aide.
Exercer en même temps et sereinement un métier administratif et la médecine… n’est- ce pas dans cet adossement que se dissout la sérénité du corps médical ?
Préoccupations administratives
Le temps administratif en médecine est affublé d’une immuable caractéristique. Il s’agit d’un temps contraint, qui n’est jamais un temps de plaisir.
Pour les médecins généralistes, ce sont les innombrables paperasses, les relations difficiles avec des caisses qui n’ont envers eux qu’des insatisfactions, doléances, réclamations et récriminations. Chaque jour, le travail administratif du généraliste représenterait 1/10 d’équivalent temps plein d’un salarié de la sécurité sociale.
Pour les spécialistes, c’est tout autant, à d’autres niveaux. Les pressions de temps et d’organisation en établissement de santé, les critères d’organisation centrés sur la rentabilité financière, des blocs opératoires gérés par des non soignants comme de la production industrielle avec des temps et horaires contraints, des commissions en tout genre à présence médicale obligatoire, souvent hors du temps de travail et non rémunérées.
A la limite de l’administratif, d’autres préoccupations : la charge de travail, les horaires à rallonge, la cadence infernale, la pression financière, et judiciaire. Paradoxalement, ou pas, ces soucis semblent mieux acceptés et prennent moins de place dans les préoccupations médicales. Sauf chez les internes, ou la cadence infernale génère des troubles anxieux. Ensuite, les médecins paraissent s’y habituer, la cadence devenant alors une contrainte acceptable et acceptée.
La partie administrative n’a pas de sens ni de valeur pour le médecin. Pourtant, sa place s’hypertrophie un peu plus chaque jour dans sa pratique, envahissant chaque sphère du métier, nécessitant un effort constant d’adaptation à des contraintes imparables, semblant d’autant plus lourdes qu’elles sont incontournables. Ces impératifs et cet ajustement contraint donnent aux médecins une sensation d’agression, d’attaque, d’invasion par un travail supplémentaire ne bénéficiant d’aucune reconnaissance.
Préoccupations en rapport avec les patients.
On se gargarise, on galvaude avec la formule « Les Exigences Des Patients » #LEDP !
Une liste sommaire d'exigences des patients : La notion d’urgence, l’incorrection voire l’incivilité, les rendez-vous non honorés, l’anxiété affichée et revendicatrice, les demandes abusives.
Mais… pourquoi ces exigences font-elles tant vaciller le corps médical ?
Parce que ce sont des demandes qui vont bien au-delà du soin …
Le médecin peut tout entendre. De la à en déduire qu’il peut donc (et doit donc) tout supporter.. il n’y a qu’un pas, aisément franchi par de nombreux patients. Une consultation actuellement, ce n’est pas que du soin, mais c’est une multitude de demandes: maladies, dysfonctionnements, information, aide psychologique, aide sociale. Du médical au paramédical, du nécessaire à l’abusif, le fossé s’amincit. Apprendre à opposer des refus à des demandes excessives n’est pas simple, et est générateur de conflits. Conflits dont le médecin sait d’avance que les torts lui seront imputés.
L’exigence des patients est intensément ressentie par les médecins. Car, au fond d’eux sommeillent de beaux concepts. Vocation, mission, ils ont été nourris de ces nourritures spirituelles: "le médecin est un sauveur", "un bon docteur se devait de pouvoir répondre à tout". Les patients aussi pensent ces poncifs, et cela engendre une discordance dans la relation avec les médecins.
Car, nombre de médecins métabolisent mal les difficultés rencontrées avec les malades. Ne pas savoir et de ne pas pouvoir répondre à toutes les demandes de ses patients, engendre au minimum un sentiment de frustration. C’est la première étape de la perte de reconnaissance. L’addition de petites frustrations répétées au cours d’une journée est classique. Il suffit d’ un patient difficile, puis d’un autre trop exigeant, enfin d’un patient multipathologique médicalement lourd à gérer. Tout ceci dans une course constante avec le temps. Beaucoup de journées de travail d’un médecin induisent de petites blessures d’estime successives. Ces petites blessures narcissiques s’additionnent sur les jours et les semaines, et peuvent aller jusqu’à faire ressentir un sentiment d’inutilité sociale, l’impression de ne plus être efficace, de ne plus savoir aider les gens.
Quel médecin ne se sent pas concerné par des frustrations, par la blessure narcissique, par le conflit, par l’exigence de certains de ses patients, alors même qu’il a ce fort sentiment d’engagement social, personnel et professionnel. Pour tout le monde, les choix de vie professionnels se confortent dans les satisfactions, surtout si le métier est dur. Or chez les médecins, ces oasis de satisfaction se raréfient progressivement au profit d’impressions répétées de peine, de perte. Perte de reconnaissance sociale. Perte de reconnaissance de son engagement personnel au profit des patients.
Toutes ces petites blessures individuelles, tous ces ratés dans la relation médecin-patient autour du soin, des sentiments que tous ont déjà ressentis, s’agrègent et s’amplifient collégialement. Soudain, tous les médecins savent qu'ils partagent ces difficultés, que la profession est concernée dans son ensemble. De ce fait, le corps médical tout entier exprime un malaise, se trouve trop souvent insatisfait de son métier, non reconnu à sa juste, irremplaçable et néanmoins sous-estimée valeur, celle de savoir soigner les malades.
Administratif + patients : ou va-t-on ?
On explique aux médecins qu’un remède au surmenage, au stress, est d’apprendre à dire non.
On omet le fait que le médecin peut seulement dire non à ses patients… . Gare au docteur s’il lui prend l’envie de dire non aux instances qui le réglementent. Leur aveuglement est puissant, et leur dominance irréfutable. Elles s’ingénieront à lui accaparer son temps, et l’énergie qu’il devrait consacrer au soin si jamais il s’oppose ou fait face de travers aux obligations issues de l’administration. Elle n’est douée d’aucune compréhension, l’administration, elle oblige à assumer même les demandes les plus absurdes, illogiques, abusives ou erronées.
Depuis que la vie professionnelle des médecins les contraint en permanence à juxtaposer des compétences administratives et l’art du soin, ils assument de plus en plus mal les nécessités de devoir en plus composer aussi avec les aléas sociétaux. Dans cet adossement de tant de contraintes si antinomiques, administratif, soin et gestion des difficultés psycho-sociales des patients, la sérénité du corps médical se dissout. De tâches administratives en patients complexes, le médecin accomplit souvent sa mission le dos au mur et sans marge de manœuvre dans sa relation d’aide aux malades, qui est pourtant sa mission fondamentale. Pour beaucoup d’entre eux, cette multiplicité de points critiques induit une perte de sens, et n’apporte pas un accomplissement professionnel bénéfique à la réflexion. Or, pour ne pas faire d’erreur, le médecin doit impérativement avoir l’esprit libre de réfléchir posément.
Un jour viendra ou "il faudra que les médecins se décident à fermer pour cause de rénovation intérieure" (Anne-Sophie Pruvost, psychologue du travail). En l’état actuel, on peut craindre que les médecins ne choisissent l'option de fermer plus souvent leurs portes aux patients pour répondre aux obligations administratives (qui elles ne fermeront pas) et à la gestion de leur temps de repos émotionnel.