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On détricote la médecine ?
Chaque jour, les journaux médicaux évoquent des thèmes récurrents en santé : économies envisagées par l’assurance maladie, réseaux de soins, tiers payant sur les actes médicaux en cabinet de ville… en passant par l’inévitable couplet sur le médecin remplaçant heureux dans un désert médical (en remplacement 2 jours par semaine, repart à Paris bientôt…)
De nombreux articles peuvent laisser penser que l’on détricote le système de santé, chaque jour un peu plus, et toujours à l’insu des médecins. Le secteur 2 est en voie de résorption, les déserts médicaux devront être repeuplés…
Pourquoi ?
Pourquoi une telle situation ? Les médecins ne sont pas forcément en conflit idéologique avec les évolutions de leurs pratiques, mais prennent finalement peu d’initiatives. Ils semblent adopter une prudente réserve face à l’évolution de la médecine et de la santé. Cela peut confiner à l’inaction, et surtout un déficit de créativité.
Le corps médical sait en gros ce qu’il refuse instinctivement. Pour autant, sachant combien la question de la santé dépasse désormais largement les individus, aussi bien patients que médecins, pour entrer dans le vaste domaine de la santé publique, les médecins devraient être plus créatifs. Or ils restent craintifs, positionnés sur une fragile attitude de retenue.
L'opposante résignation prend sa source dans ma génération.
Je fais partie d’une cohorte de médecins, installée il y 25-35 ans, qui partait pour une vie professionnelle comparable à celle de plusieurs générations antérieures de médecins.
Avant le temps des concours, les médecins s’installaient ou ils voulaient, dans des murs qu’ils ne quitteraient que 40 ans plus tard au moment de la retraite. Au début, Ils peinaient à se créer une belle clientèle, le pic de clientèle culminant autour de la cinquantaine. Puis, leur activité commençait une délicate décroissance convenant à leur avancée en âge. A partir d’un moment, en effet, les patients espéraient trouver des compétences plus récentes auprès de plus jeunes praticiens nouvellement installés. Au moment de la retraite, les médecins monneyaient finalement ce qui leur restait de clientèle à un jeune en désir d’installation.
Arriva le déficit de la sécurité sociale dans les années 80. On inventa un nouveau concept, le dépassement d’honoraires. Dans les premières années suivant la création du secteur 2, il s’avérait que le choix de passer en secteur à honoraires libres, faisait perdre au médecin environ 30% de clientèle. Le motif de passage en secteur 2, ouvert à tous à ce moment, était donc surtout motivé par la volonté de consulter différemment. Le fait est qu’un médecin ne gagnait pas plus en secteur 2, l’augmentation des honoraires étant largement compensée par une baisse d’activité (consult moins nombreuses et plus longues) , ainsi que par l’augmentation des charges sociales de ce secteur.
Ma génération numérus clausus (je suis issue d’un des premiers concours numérus clausus) était justement en cours ou tout juste installée dans ces années 80. Nous avions grandi dans une pensée unique, véhiculée par nos pontes hospitaliers. Le médecin libéral, délaissant une éclatante carrière hospitalière, allait ronronner des années, bien gagner sa vie, et être considéré et respecté par sa patientèle.
Le changement est insensible, il faudrait s'y adapter.
Lorsque le changement se produit insensiblement, on ne le réalise pas au cœur de l’action, mais a posteriori. Ma génération n’a pas bien réalisé les évolutions de la pratique. Elle n’a pas forcément bien réagi non plus. Ses valeurs dominantes n’ont pas évolué. L’exercice solitaire, le paiement à l’acte, l’indifférence à la santé publique et aux dépenses de santé sont restés dominants. La génération de médecins des années 80 a gardé un comportement d’abord individualiste, et a privilégié le repli autour d’intérêts personnels et catégoriels. Bien sûr, elle a pris la dimension des changements, mais n’a pas bien su ou pas voulu prendre le virage de la médecine populationnelle et médico-économique. (On peut faire exactement les mêmes observations à propos de la médecine hospitalière).
Il fallait s’adapter à l’évolution des paradigmes médicaux, les crises successives, la perte de richesse des populations. Or, l’impression sur la plupart des changements, c’est qu’ils se sont plutôt réalisés malgré les médecins qu’avec eux. Quelques années de syndicalisme médical, permettent de constater l’immobilisme défensif, source de tergiversations et de piétinement. Non, le corps médical n’a pas été spécialement proactif pour gérer et conduire les changements qui s’imposaient à lui.
Une tactique: gagner du temps, préserver ses intérêts.
Beaucoup de médecins ont estimé préférable de tenter la tactique du gain de temps, de repli défensif, afin de protéger au moins leurs propres intérêts au milieu des tourmentes. Ne raisonnant pas collectif, ils se sont attachés à rester le plus indifférents possible aux problèmes collégiaux. Afin de protéger leur modèle personnel. Certaines spécialités ont compris l’intérêt de se fédérer, pour défendre les intérêts de leur corporation. Ce qui arrivait aux autres spécialités n’ayant guère d’importance dès lors qu’il s’agissait de préserver les avantages d’une spécialité.
Les moins fédérés ont été, finalement, les plus gros baisés de l’histoire de la médecine des dernières années. Et là, tout de suite, on pense à 2 spécialités : la médecine générale et la chirurgie. Parmi les thèmes récurrents en santé, voyez combien ce sont eux les plus concernés. Sans oublier les autres, par exemple les radiologues, et leurs baisses récurrentes de tarifs laissant indifférents tout le reste du corps médical.
Avec cette tactique, c'est droit dans le mur.
Les dépassements des chirurgiens
Les chirurgiens sont les premiers dans le collimateur des limitations de dépassement d’honoraires. On les attaque sur les dépassements, OK, mais en minimisant la réalité de tarifs des actes chirurgicaux tellement bas qu’un exercice chirurgical sans dépassement devient une absolue aberration. Les autres spécialistes se taisent et observent, pensant par devers eux que cette situation est certes malheureuse pour certains chirurgiens, mais qu eux-mêmes sont pas ou peu concernés, donc mieux vaut rester coi.
Si c’est désolant de voir ainsi attaquée la chirurgie, en revanche, quelles actions proactives ont mis en œuvre les chirurgiens pour faire accepter les dépassements ? N’auraient t’ils pas pu tenir une sorte de discours comme ça ? : « puisque les tarifs des actes sont trop bas pour que nous puissions payer nos charges, nos assurances, et gagner notre vie décemment au regard du travail fourni, nous, chirurgiens, décidons de fixer nous-mêmes le tarif des actes. Ainsi, une intervention payée 400 euros par exemple par la sécu, sera complétée par un dépassement d’honoraire de 200 euros, voire 300 en région urbaine parce que les loyers professionnels y sont plus chers ». Si un tel raisonnement avait été tenu, les patients, et les tutelles auraient su à quoi s’en tenir. Et les dépassements, justifiés, et connus de tous, auraient été rapidement inattaquables. Au lieu de cela, les dépassements d’honoraires ont toujours été déterminés individuellement. Leur montant est essentiellement généré par l’égo du chirurgien, la valeur monétaire qu’il attend de son métier. De cette manière, y compris au sein d’un établissement, le patient ne sait pas à l’avance s’il va tomber sur le praticien le plus tarifé. Ainsi pris au piège, comment voulez-vous que les patients soient d’accord avec le système et soient d’accord pour que celui perdure, même quand ils ont parfaitement compris que les actes chirurgicaux étaient sous-tarifés.
Les déserts et les généralistes
La seconde spécialité en faiblesse, c’est la médecine générale. Sujet à la mode : les déserts médicaux.. sujet qui parait laisser impavide les médecins des villes. Les journalistes nous émeuvent avec quelques articles chargés d’émotion sur le désert. Tel généraliste si content d’exercer dans un désert qu’il laisse sa place à d’autres après quelques années. Telle autre jeune généraliste totalement enthousiasmée par la pratique dans le désert qu’elle découvre. Sauf qu’à bien la lire, elle y remplace 2 jours par semaine, ne s’occupe pas de la gestion du cabinet en question, et va partir s’installer en région parisienne à la rentrée. Certes, elle veut aller au-devant des populations défavorisées, mais, même dans le 9/3, le supermarché, la poste et l’école de ses enfants seront au bout de la rue, ou à 3 stations de métro. Le désert médical édulcoré est vendeur, 3 petits tours au désert et puis s’en vont, c’est loin de la vraie vie.
Les généralistes sont face à un choix: tout d’abord, ils assurent qu’aller s’installer dans un désert n’est pas acceptable pour la plupart d’entre eux. On les comprend ! En même temps, malgré leur opposition, ils savent bien qu’une équitable répartition des médecins sur le territoire est nécessaire. il faudra une organisation sanitaire garantissant l’accès égal pour tous aux soins
Comment s’organisent donc les généralistes face à cette question du lieu d’installation ?. Un peu comme l’ont fait les chirurgiens avant eux..
Nombre de jeunes praticiens savent incontournable la question des déserts. Déjà, peu d’entre eux sont prêts, alors en plus s’installer loin de la grande ville, ça leur dit encore moins. Et donc, la contrainte viendra ! La liberté d’installation vit probablement ses derniers jours de liberté… Mais, au fait…. qui décidera du sort de ces médecins libéraux ? l’hôpital et les pouvoirs publics ? A l’image des prédécesseurs, les généralistes pencheraient t’ils pour l’option : gagner du temps retarde le changement ? Face aux adversités, le corps médical ne trouve toujours pas par lui-même une attitude consensuelle.
Les modèles ont la vie dure, et les déserts rendront la vie dure...
Les jeunes praticiens encombré par les vieux passéistes et passifs ne paraissent pas trouver d’issue au modèle qu’on leur a légué : ils ne veulent pas finir au paradis des déserts, mais n’apportent pas de solution à la question. En dignes héritiers d’un lourd passé de passivité légué par des générations de médecins, les nouveaux praticiens ne portent pas eux-mêmes les évolutions de leur pratique.
Est-ce parce que les médecins s’occupent des individus, qu’ils ont développé à outrance un individualisme dont ils ne savent pas sortir? . Qu'ils restent plutôt indifférents aux véritables évolutions de la profession, tant qu’on ne touche pas à leur pré.
Resterons nous tous indifférents au faut qu’on obligera des jeunes médecins à s’en aller s’installer dans des endroits où il fait bon vivre pour les passionnés de nature, mais pas pour un docteur qui travaillera 60 heures la semaine, n’aura ni école proche pour ses enfants, ni travail pour son conjoint.