Quel est le degré de connaissance des médecins généralistes sur les structures hospitalières publiques et privées avec lesquelles ils travaillent quotidiennement ?
Au moment de son installation, le médecin généraliste connait le paysage et fonctionnement hospitalier des quelques services et des hôpitaux au sein desquels il a exercé et appris.Son cursus de formation est passé pour l’essentiel au cœur des centres hospitaliers de CHU, avec quelques détours du côté des hôpitaux généraux, et un stage en cabinet libéral. Cette connaissance servira son orientation dans les paysages hospitaliers régionaux, à la condition de s’installer au plus près de sa région de formation. Même si c’est ainsi, les infrastructures hospitalières évolueront, des liens d’individus, des filières identifiées perdureront quelques années puis s’estomperont avec les changements de hiérarchie des services. En revanche, dans le cas ou le médecin s’installe dans une région qu’il ne connait pas, il y arrivera sans aucune connaissance des hôpitaux publics et privés qui l’entourent et avec lesquels il sera amené à partager quotidiennement autour des patients.
Nombre de généralistes ont donc probablement une connaissance seulement fragmentaire de l’offre de soins hospitalière publique ou privée de proximité. Le fait d’être dans un cabinet proche géographiquement de la structure hospitalière ne garantit pas une lisibilité plus approfondie de celle-ci. S’il se trouve autour du cabinet une offre de soins diversifiés, avec plusieurs hôpitaux, cliniques, centres de santé, comme en région parisienne , cette multiplicité des offres complexifie plutôt la lisibilité.
Bien sur, les généralistes se tissent un réseau de correspondants. Afin de répondre aux demandes d’avis spécialisés, aux urgences. Des spécialistes, rencontrés en diverses occasions, ou bien dont on leur a fait l’éloge. Ils n’en connaissent qu’un, ou 2 de chaque spécialité. Ils disposent de peu ou pas d’information sur leur mode de fonctionnement. Quand et comment sont-ils de garde ? qui est en secteur 1 ou 2. Quel est le montant de leur dépassement d’honoraires ? ont-ils une secrétaire ? comment les joindre facilement ?
Ils savent les urgences ou il vaut mieux aller et celles à éviter, c’est important. En cas de problème, hélas, l’urgentiste n’est plus un humain identifié que l’on peut prévenir de l’arrivée d’un patient. Il est devenu une entité, le joindre est un temps perdu pas toujours couronné de succès, jalonné d’appels dans le vide, de secrétaires ronchonnes ou débordées. Le transfert d’information de médecin à médecin en cas d’urgence tombe en désuétude. Il y a bien moins de temps et d’énergie gaspillés avec un courrier.
Pour les examens complémentaires, cela reste encore assez simple avec les laboratoires d’analyse médicale. Mais se complexifie avec l’imagerie... Le collègue radiologue de ville, disponible dans son centre de radio, que l’on pouvait contacter directement, étant une espèce de musée médical en voie de disparition. On comprend à quel point est opaque la lisibilité de l’organisation des grosses structures et des grands centres de radiologie . Obtenir une échographie, un scanner, une IRM directement n’est pas simple parce qu’il faudrait savoir quel est le médecin le plus compétent en sénologie, en digestif, en os, en ponctions, en écho. Parce qu’il faudrait un numéro médical personnalisé, qui éviterait l’interminable attente au standard, et qui permettrait de se trouver en relation orale avec un confrère pour question, avis, demande urgente.
Ensuite, graduellement, les examens se sophistiquent, endoscopies de toutes sortes, explorations endo-vasculaires, TEP scanner et le reste. Les connaissances acquises lors de la formation, si elles ne sont pas confrontées à la pratique quotidienne, prennent vite une dérisoire obsolescence.
Finalement, si le médecin généraliste souhaite faire hospitaliser un patient, comment pourra t’il joindre un cadre dans un service dont il ne connait pas l’organigramme. Il obtiendra souvent des réponses du style : cadre en réunion, médecin occupé, pas de lit, on ne prend pas un malade sans accord du médecin, mais le médecin n’est pas la ce matin, laissez votre numéro, on vous dit qu’on vous rappellera, en sachant d’avance qu’on ne vous rappellera pas. Quel médecin généraliste réussit désormais à faire hospitaliser directement un patient dans un service de médecine, sauf s’il y travaille ?
Au delà du paysage médical, la méconnaissance est quasi absolue sur les innombrables obligations qui jalonnent le quotidien du médecin hospitalier, aussi bien en public qu’en privé. Instances et comités de toutes sortes : de qualité, de médicament, de douleur, de nutrition, de risques, de retour d’expérience, de relations d’usagers, d’organisation de bloc, de soins palliatifs, de concertations pluridisciplinaires … Staffs médicaux, déclarations du moindre évènement indésirable, audits, contrôles des ARS, visites de certification, et j’en oublie. De son point de vue quotidien encombré d’administratif déjà bien prenant, le généraliste n’a pas une conception claire de la dimension managériale de l’hôpital et de la place de plus en plus importante qu’elle occupe dans la vie médicale et dans la vie des patients.
Je fais un constat : on demande à des médecins d’être les pivots des parcours de soins des patients. Comment peuvent-ils réaliser cela efficacement avec une connaissance si fragmentaire de l’organisation de l’offre de soins dans leur secteur géographique ?
Tant qu’on n’est pas entré dans le musée, on ne connait pas les tableaux, même si on en a vu les photos. Tant qu'on n'est pas entré chez le voisin, on ne connait pas grand chose de lui, même si on lui a parlé dans la rue. Tant que l’on est resté à la porte d’une structure hospitalière, on n’en connait ni le fonctionnement ni les ressources, même en y envoyant ses patients.
Idée...
Photo Neal sur Flickr